Hier, c’était la rentrée des classes et j’écrivais : Aujourd’hui c’est la rentrée des classes. Mes petits sont en primaire (au fait, est-ce qu’on dit toujours comme ça !? élémentaire, je crois, Docteur Watson). Les deux grands rentrent au CE2 et les deux plus jeunes au CP. Je pense à eux… ils sont tellement candides et crédules… et plein de souvenirs me reviennent…
Tiens, au CP par exemple, le soir, avant de sortir de la classe et quitter l’école, la maîtresse avait appris et nous demandait de faire silence. Le vrai silence, quoi. Avec la bouche et les bras et les jambes. Assis à notre place, on croisait les bras, les coudes posés sur le bord du bureau et on élevait une main pour que l’index dressé se pose sur notre bouche. On maintenait la position jusqu’à ce que l’instit nous dise de sortir (toujours en silence), nous souhaite une bonne soirée et de bien faire nos devoirs.
Et un soir (oui, parce que c’était quelques semaines après la rentrée, ce devait être l’automne bien avancé déjà), dans la position silence (mais sur les starting blocks à l’intérieur) j’ai éternué subitement ! Oui, j’ai senti l’envie venir alors j’ai vite pincé le nez et les lèvres comme j’ai pu, et c’est là que s’est produit un couinement de misère… J’ai senti instantanément le rouge me monter aux joues, je tremblais de tout mon corps. La maîtresse s’est redressée et s’est mise à crier : « Qui a fait ça ? Toute la classe sera punie si personne ne se dénonce. » J’ai levé le doigt aussitôt ( à six ans, l’idée de ne pas me dénoncer ne m’était encore jamais venue). Avec son regard sévère et son doigt qu’elle agitait en forme de crochet, elle m’a fait signe de m’approcher d’elle. Tout près d’elle. Elle était assise à son bureau et l’estrade était haute, presque jusqu’à mes genoux. Elle m’a demandé avec quoi j’avais pu faire ce bruit. Comment dire !? J’ai atchoumé ( je ne connaissais peut-être pas le terme pour exprimer la chose, j’étais surtout transis de peur).
Et là, Elle a émis un rire grinçant, moqueur, comme on peut entendre dans certains trains fantômes en répétant mes mots à toute la classe et bien plus fort que moi, puis m’a dit de retourner à ma place, et d’y rester cinq minutes de plus après la sortie du dernier de mes camarades.
J’étais honteuse, mais de quoi. J’avais perdu mes moyens. Cinq minutes, c’étaient combien. J’ai refoulé mes larmes. Je savais qu’il fallait compté lentement jusqu’à soixante pour qu’une minute soit écoulée. J’allais compter cinq fois jusqu’à soixante…
Bien sûr les autres avaient pouffé de rire… pas pour se moquer de moi, je le sais maintenant, plutôt parce que c’était une soupape pour eux qui n’auraient pas voulu, pour tout au monde, être à ma place et parce que la maîtresse riait et que ça mettait fin à cette tension de silence imposé.
Je comptais encore quand soudain, elle m’a dit d’y aller. Elle s’appelait Madame Anguenot. Et j’ai eu un prix de bon travail en fin d’année.
Au CE2, c’est une autre histoire qui m’est arrivé. Oh pas tellement différente finalement. L’instit avait décidé qu’après les cours, une fois par semaine, les élèves qui lisaient le mieux resteraient un peu pour aider les élèves qui lisaient plus difficilement. Je me souviens… entre autres, il y avait la fille Boillot, la Geneviève et la Yolande. C’est Yolande qui choisissait souvent de lire à côté de moi. Elle ne voulait pas que je lui souffle les mots, voulait être capable de les dire toute seule. Elle m’avait expliqué qu’elle ne pouvait pas redoubler encore cette année-là. C’est vrai qu’elle était bien plus âgée que nous toutes. Elle voulait aller au cours fin d’études pour aller en apprentissage… Moi, j’allais sûrement faire comme ma grande sœur : aller au CM1. Mais je ne lui ai pas dit, je l’ai pensé seulement. Elle devait lire et moi écouter, ou seulement chuchoter pour lui dire le mot juste.
Mes copines restaient aussi pour faire lire des autres, alors… mais en rentrant, on parlaient un peu le long du chemin et on traînaient beaucoup selon Maman qui m’attendait à la maison. Même si elle savait ce que l’on faisait, ce soir-là je devais me dépêcher de rentrer pour faire mes devoirs à mon tour. Et c’est vrai que je n’en avait plus trop envie, j’avais plutôt envie de jouer. Alors, une fois que je n’avais sans doute pas envie de rester ou que la liste des devoirs pour le lendemain devait être longue, j’ai dit à la maîtresse que je ne pouvais pas rester parce que je devais rentrer à la maison à la même heure que ma grande sœur. Malheur, qu’avais-je dit ! L’autre est devenue toute rouge, m’a dit de rester comme d’habitude avec mes camarades, de lui donner mon cahier immédiatement pour y noter un mot que je devais faire signer par mes deux parents pour le lendemain et que je serais punie : je ferais des tours de cour pendant tout le temps de la récréation tous les jours pendant un mois… J’étais décomposée (et pleine d’envie de vengeance à l’intérieur).
Bien sûr, Maman est venue lui expliquer le lendemain matin avec mon cahier signé ce que j’avais voulu lui dire par mes mots maladroits. Hélas, ma punition ne fut pas levée, j’ai arpenté la cour pendant un mois aux récréations des matins et après-midis et j’ai continué à aider mes camarades à la lecture, mais pas le soir, c’était pendant les récréations, une fois par semaine et jusqu’à la fin d’année scolaire. Elle, c’était Madame Wiss qui avait laissé le qualificatif d’impertinente sur mon dossier scolaire qui a suivi toute ma scolarité… et j’ai eu aussi un prix de bon travail cette année-là. C’était un livre de la collection rouge et or, l’oncle Tom peut-être !?