Changer ses horaires

Elle n’a pas voulu changer ses horaires, une fois à la retraite…

Elle n’aurait voulu apporter aucune variation dans sa vie de tous les jours.
Je me suis habituée à sa présence mais son silence me pèse. Alors on écoute la radio. Quelques remous dans son cœur la font parfois respirer plus fort. A ces moments-là elle laisse monter ses épaules, puis sa respiration reprend des oscillations régulières.
Je me suis étonnée au début de ce peu de paroles échangées. Elle m’a répondu que le vent d’ici la faisait souffrir, qu’il apportait comme des grains dans son nez et ses yeux qui la gênaient jusque dans sa poitrine et que le médecin n’y pourrait rien y faire… puis elle ajouta, à voix basse, que les marches quotidiennes sur la plage lui manquaient beaucoup, et que c’est la musique classique qu’elle préférait.
Je ne peux pas dire qu’elle s’ennuie. Elle s’occupe à lire, à écrire. Elle sait faire plein de belles choses de ses mains. Elle a pris la responsabilité des conserves et confitures. Elle n’oublie pas d’apporter une brassée de fleurs coupées du jardin pour garnir la maison quand la saison le permet. Elle ne parle simplement pas beaucoup et ne chante plus comme avant.
Quand il pleut, elle place son fauteuil très près de la fenêtre, et j’ai remarqué ce geste nouveau qu’elle a de sortir un mouchoir propre de sa poche comme pour essuyer un brouillard invisible sur son visage. Si nos regards se croisent, elle me sourit, baisse la tête et se lève pour reprendre des va-et-vient de son fauteuil à la porte ou de la porte à la cuisine pour se servir un verre d’eau, comme si elle voulait danser sur une musique qu’elle est seule à entendre.
Aujourd’hui, il pleut. Cet après-midi encore. Ça fait dix jours, qu’il pleut et qu’il fait froid. Sans être certaine d’obtenir une réponse, j’ai lu à haute voix cette définition donnée pour ma grille de mots croisés : « Phénomène farouche et saisonnier dans certains estuaires dû au vent du large ». « Mascaret ! » Elle a répondu du tac au tac. Et immédiatement, elle est venue s’asseoir près de moi. Elle sourit et ses joues sont roses. Et elle me parle de la marée des syzygies… Devant mes yeux tous ronds elle continue sur l’alignement de la lune et du soleil par rapport à la terre, et veut m’expliquer… Je ne l’ai jamais vue si heureuse depuis bien longtemps !

Pour répondre aux Plumes 6.20 chez Emilie avec les mots proposés de la semaine sur le thème de la marée (horaires, variation, remous, haute, lune, oscillation, va-et-vient, vent, mascaret, plage, brouillard, grain, syzygie, basse)

13 réflexions sur “Changer ses horaires

  1. Pingback: LES TEXTES DES PLUMES CHEZ EMILIE 6.20 | LES PETITS CAHIERS D'EMILIE

  2. Coucou, de qui parles-tu ? J’ai pensé très fort à Maman en lisant tes lignes… Pour t’apporter un peu de mouvement, fais 2 ou 3 fois le tour de ton jardin, tous les jours, c’est peu, mais…
    Beau texte, tu m’épates de plus en plus. Bises à vous 2. Domi.

    • Je parle beaucoup de ceux que j’aime et que j’ai aimés ici 😉 et certains mots proposés font ressortir un souvenir presque oublié.
      J’ai vu aussi que mes textes sont plus étoffés, sans doute du à ce cantonnement. Je vais sortir ne t’en fais pas ❤ Merci Domi

  3. Parfois il faut bien peu de choses pour qu’un proche se sente utile, aimé, condidéré…….
    J’aime bien texte, il sent le vécu………..
    Merci !!
    Comment se passe ton confinement ?

    • Merci de tes mots 😉 le confinement ne me pèse pas plus que ça, j’ai toujours quelque chose à faire, mais je suis beaucoup trop assise.
      Et mes marches sans but et mes visites en milieux associatifs me manquent énormément ❤
      J'espère que tu ne te morfonds pas trop

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