En ce temps-là

En ce temps-là… ou ‘in illo tempore

mais il est rare de rencontrer cette expression dans des écrits et encore plus rare de l’entendre lors d’une conversation, car elle vient du latin, langue morte et donc plus utilisée aujourd’hui chez les humains. Mais chez les ornitho , hein !? …

Donc, naguère, chez les ornitho et les autres, le rendez-vous des épicuriens était hebdomadaire ou bimensuel mais rarement annuel. J’aurais cru ce rythme éternel. Je me souviens… A l’ouverture de la boite en début de semaine l’émotion était certaine et douce comme un duvet, très vite remplacée par l’impatience de ce qui allait être partager. Alors ce duvet éphémère devenait plumes qui grattaient le papier virtuel sous les touches d’un clavier. Je vous laisse imaginer l’ornitho dont les plumes le grattent. Toute une semaine festive à cogiter avec plaisir et lisser les plumes. Quelquefois, la ponte était rapide et le plaisir n’en était pas moins grand. Au contraire, c’était pure jouissance. L’ouverture des boites en fin de semaine procurait une immense joie quand on découvrait l’effet produit de ce partage entre tous. Comme une pyramide de verres où l’on verse en cascade quelque chose qui pétille qu’on va déguster. C’est peut-être ça qu’on appelle une re-jouissance.

Pour répondre aux Plumes d’Emilie et les mots proposés

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Léger comme une plume

J’ai l’esprit léger comme une plume. Je suis contente d’être en congés.

Ma collègue m’a proposé de partir en nomades avec sa bande de copains, comme ils en ont pris l’habitude depuis quelques années. On y trouvera ensemble cette liberté qu’ont les forains de partir sur la route et de se poser là où ils le décident.

Ensemble… elle peut toujours repasser. Les uns avaient perdu leurs matériel et véhicules dans les feux de forêt la semaine d’avant. Et puis, les autres avaient attrapé froid les jours suivants à vouloir rester dormir en pleine nature à la belle étoile et finissant souvent sous la pluie.

Alors… on est donc parti toutes les deux, en mini convoi, à vélo, à la découverte de notre monde. Mes sacoches contenaient la tente et les accessoires, nos vêtements et la nourriture. Les siennes, plus petites, étaient remplies de cosmétiques et de médicaments, on en a toujours besoin.

Elle était devant et pédalait à vive allure. Je la suivais et admirais le paysage. Dans les montées je respirais plus fort l’air pur et odorant de la campagne. Je m’arrêtais pour faire quelques photos et garder un souvenir de notre périple. Elle avait chaussé les écouteurs de son mp3 sur ses deux oreilles et n’entendait rien d’autre que sa musique, je m’en rendis vite compte.

Elle m’avait recommandé de prendre un parapluie pliant, on ne sait jamais, il pourrait toujours nous servir d’ombrelle quand le soleil serait trop cuisant. En fait d’ombrelle, je l’ai plutôt utilisé, ce premier jour, en guise de bouclier pour faire décamper le chien de la ferme qui nous a coursé durant les quelques lacets qui nous menaient au col. Au fait, qui disait que les chiens ne font que japper quand… ? Oh qu’importe !

Elle m’a distancée. Je l’ai rattrapée plus loin, plus bas au bord de l’eau, où elle s’était arrêtée. Elle avait eu chaud, s’était douchée et m’attendait pour que l’on s’installe et pour manger surtout. Elle a simplement trouvé bizarre de me voir rafistoler une ou deux baleines dans la soirée, et pensait juste que je m’étais assurer de bon état du matériel avant notre départ…

Pour répondre aux Plumes chez Emilie avec les mots récoltés en cette fin de mois d’aout sur le thème de la caravane: chien, musique, pliant, découverte, camper, soleil, route, repasser, dormir, nature, nomade, liberté, feu, forain, froid.

Ça s’est passé un samedi

Ça s’est passé un samedi.

J’étais allée danser avec mes copines jusqu’au bout de la nuit comme toutes le semaines. Etait-ce notre âge ou le genre de musique ? C’était devenu une passion pour nous trois. Mais ce soir-là, une ombre s’est pointée et tout a tourné au délire. Un regard avait suffi pour que Marie Jo accepte d’absorber cette satanée boisson éventée et qu’elle s’enflamme en un rien de temps comme envoûtée avec ce machin-là. Ah il aurait fallu la voir ! S’il y en avait eu un, le thermomètre aurait dépassé tous les degrés possibles. Puis, petit à petit, elle perdit toute sa fraîcheur. Mais le pire, c’est qu’elle se mit soudain à tousser. Tousser très fort à se faire sortir tripes et boyaux.  En ce temps-là il n’y avait pas de Sam parce qu’on n’avait pas de bagnole, ni téléphone non plus. On était venu à vélo. Alors on a attendu, Martine et moi, sur le bas-côté de la route que la crise de l’autre finisse par passer pour se décider à rentrer toutes les trois, ensemble comme à chaque fois.

C’est ma participation aux Plumes de juin chez Emilie avec les mots de la récolte en gras dans le texte. Bien sûr, les prénoms ici n’ont rien à voir avec des personnes connues. C’était juste pour écrire et poster quelque chose aujourd’hui.

On allait rendre visite à Mémé

C’étaient les jeudis après-midis qu’on allait rendre visite à Mémé.

On chantait et sautait tout au long du trajet. On allait passer un bon moment ensemble. Rien qu’elle et nous. Elle nous attendait devant sa maison. On s’embrassait, se serrait. La petite dernière prolongeait les câlins en plongeant son nez entre ses deux seins, ce qui les faisait rire toutes les deux. Mémé n’était jamais à court d’idées et on savait qu’elle aimait nous faire découvrir et s’essayer à de nouvelles choses et des nouveaux outils.

Selon le temps qu’il faisait ou la saison, on allait d’abord faire un tour à pieds, donner à manger aux bêtes, admirer la nature ou ses dernières confections et on rentrait faire un jeu de société ou bricoler avec elle. On jardinait parfois, ou on faisait des travaux de peinture comme des adultes. Elle nous a appris à tricoter avec de la laine ou des brins d’herbe et nous a montré comment broder nos espadrilles pour les raccommoder ou rafraichir les murs de sa cuisine façon patchwork quand il ne lui restait que des fins de pots.

Puis, par instinct de trop d’amour ou par expérience parce qu’elle voulait nous remercier de partager ces instants de vie, elle prévoyait toujours un super goûter. Sa crème au lait de brebis, qu’elle présentait dans des petits ramequins, était ma préférée. En effet, Mémé avait une « moutonne » qu’elle allait traire tous les soirs, avec un ou deux petits en début de printemps, et le jeudi elle avançait un peu l’heure de la traite car on aimait bien la regarder faire. Elle incorporait à ce dessert deux ou trois bons œufs de ses poules et elle l’épaississait aux perles du japon pour remédier à l’intolérance au gluten ou à la protéine de lait de l’un ou l’autre. C’est ce qui lui donnait cette texture veloutée. On suçait nos cuillères jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une goutte au fond de nos bols. Pour les goules sucrées ou les affamés, elle sortait aussi le pot de miel et des carrés de chocolat noir qu’elle étalait ou râpait sur une galette de maïs beurrée ou des crêpes.

Pour terminer, elle ouvrait sa boite de bonbons en nous proposant un berlingot ou une bêtise en nous faisant promettre de bien se brosser les dents le soir venu. Ils étaient beaux, colorés et sentaient bon. Je me souviens avoir longtemps souri avant d’avoir vraiment compris ce qu’elle nous disait là. Et avant de partir, on se serrait à nouveau et on s’embrassait, chacun à sa manière.

Miel perle brebis crème sein velouté traire chocolat poule berlingot intolérance incorporer instinct étaient les mots récoltés pour les dernières Plumes de mai chez Emilie.

Elle est curieuse

C’est vrai qu’elle est curieuse, et je la regarde faire.

Ivre de joie de me revoir sûrement, comme tous les soirs, elle plonge la main à l’intérieur de mon sac et ressort mon petit flacon de solution hydro alcoolique. Elle mime le geste de s’en mettre et masse ses mains qui font le bruit de papier froissé en commentant qu’elle préfère ça au savon car elle déteste la mousse et surtout le gaspillage de l’eau. C’est vrai qu’elle est curieuse et je trouve ça comique. Elle fouille un peu plus et fait soudain une grimace. Elle extirpe une aiguille qu’elle a coincée entre son pouce et l’index et qu’elle me tend, puis suce le bout de son doigt piqué. Pendant que je range l’épingle dans sa boite à couture, je la vois retourner subitement mon sac et le vider entièrement sur la table pour plus de sécurité sans doute et ne pas se refaire piquer. Un stylo et ma bourse en tombent et quelques feuilles de mon petit carnet s’éparpillent. C’est vrai qu’il est plus léger maintenant. J’éclate de rire et elle rit aussi. Puis elle se met à écrire, ou plutôt dessiner car il faut dire que ça ne ressemble plus vraiment à rien maintenant… et me demande subitement si je suis passée chez la lingère chercher son armure. Je dois la regarder avec un drôle d’air, car elle remet à rire. Et là elle m’annonce qu’elle boirait bien du champagne pour fêter son envol de demain. Grand Dieu, à quoi pense-t-elle donc réellement à cet instant !? Dites, elle est curieuse, non ? Ou est-ce le fait de vivre dans ma bulle qui fait que les autres me semblent bizarres ?

Savon champagne ivre écrire intérieur envol lingère léger éclater sécurité coincer mousse air aiguille armure étaient les mots récoltés pour les premières Plumes de mai chez Emilie.

Comme dans le complexe de l’ornithorynque

Depuis l’enfance, comme dans le complexe de l’ornithorynque, ses pensées ont toujours été très compliquées. 

Il n’a plus trop souvenir de leur première rencontre si ce n’est qu’elle avait quelque chose de tendre. Le rose de sa robe qu’elle portait ce jour-là et qui lui va toujours si bien, ou peut-être son parfum léger qu’elle porte encore aujourd’hui, ou simplement sa voix. Elle n’élève jamais le ton tellement elle est sûre d’elle et rit discrètement quand elle vient de dire une blague.

Ils sont très vite devenus plus qu’amis. Ça ne serait pas différent aujourd’hui. Ils n’étaient pas issus du même milieu, mais ont aimé tout de suite rester serrés l’un contre l’autre. Leurs liens se sont resserrés sans aucune barrière ni aucune distance entre eux, car elle a toujours eu une très grande maîtrise de tout et elle lui propose le mariage. Il ne peut que sourire à ce moment-là alors que son cœur bat à tout rompre. Il sent qu’avec elle, il va savoir se maîtriser et aplanir ses frontières intérieures.

Dans leur vie désormais commune, son esprit ne va plus du tout rester cloisonné dans son espace étriqué actuel. De ce fait, la meilleure de ses idées illumine à l’instant son visage, aussi soudaine qu’une étoile filante, mais bientôt unique, envahissante et persistante. C’est comme ça qu’il est donc parti à la recherche du chevalier servant idéal pour sa compagne. Sans problème il le trouve.

Dès lors il la voit chaque jour bien accompagnée. Il est sûr qu’elle n’a même jamais été effleurée par l’idée de divorcer. Dès le début il la prévient qu’il ne pourra pas avoir d’enfant avec elle et le lui dit. Pourtant une fois, elle lui en a pondu un, dans un jour d’oubli avec l’autre sans doute. Il prend alors conscience que partager la vie d’une femme a mine de rien des conséquences. Les années passent, les jours sont longs et nombreux.

Il se souvient à présent que ce jour-là il y avait un bruit. Un clapotis énorme de canalisations, ou étaient-ils près d’une rivière ? C’est confus dans sa tête, le lieu imprécis, mais ce bruit lui revient à nouveau dans les oreilles…

C’est ma participation aux Plumes 21-06 chez Emilie avec les mots récoltés, en alternant #lecturedumoment #ouvragetextile #boireuncafe et #confituremaison, parfois les mots du livre prenaient le dessus, puis les odeurs sucrées et les mots à placer alors que je venais de me piquer un doigt avec mon aiguille que j’avais prise pour mon stylo et qu’il fallait tourner la cuillère… dans ma tasse, dans le chaudron… je ne sais plus 😉

Danser sur le vert tendre de la mousse

– Danser sur le vert tendre de la mousse, c’est ce que m’inspire ce mois de mars, dit Marguerite.

– M’asseoir sous un arbre et tricoter en regardant les rayons du soleil jouer entre les branches et les feuilles, ajouta Iris.

– Mettre mon chapeau émeraude et aller voir les enfants de l’école jardiner et semer leurs premières graines, poursuivit Violette avec entrain.

– Ce renouveau est un mélange d’espérance et de peur de ne pas savoir me ménager, finit par dire Rose un peu hésitante

– Mine de rien, l’exercice a été fructueux cet l’après-midi, conclut la monitrice aux quatre résidantes, en cette Saint Patrick je vous ai apporté du jus de cactus et du cake au thé matcha pour le goûter avec quelques petits pois au wasabi.

Vert tendre jardiner émeraude rayon arbre renouveau espérance graine peur chapeau danser soleil mousse ménager mine étaient les mots récoltés pour les Plumes de mars chez Emilie

La belle vie des autres

La belle vie des autres

Jocelyne, avait-elle une chance de réagir autrement dans cette affaire qui lui tord le ventre ?

Elle jette un œil à la pièce avant de la quitter. Tout est bien rangé.  Rien ne dépasse, rien ne traîne. L’ordre et la rigueur sont les seuls garants du bon fonctionnement des choses. Le procureur est incroyablement bordélique. C’est une greffière comme elle dont il avait besoin. Il ne s’en serait jamais sorti autrement, Jocelyne en est certaine. Pourtant elle constate qu’il range bien soigneusement les courriers qu’il reçoit de cette jeune femme depuis des semaines dans cette nouvelle boite ornée d’une grosse cabosse dorée sur le couvercle. Preuve à ses yeux qu’elle est devenue plus importante que tout le reste. Et qu’il est capable de ranger quand il est motivé.

Elle arpente le boulevard sous son parapluie en évitant les aspérités et les crottes sur le trottoir. Elle déteste ces gens qui ne respectent rien et qui laissent traîner leur chien. Elle va encore devoir nettoyer ses talons. Il y a pourtant de nombreux distributeurs d’emballages spécialement réservés à cet usage.

Ce soir il lui faudra faire quelques courses pour sa mère. Elle savait que ce serait une mauvaise idée de prendre cet appartement dans le même immeuble. Mais sa maladie invalidante oblige à quelques sacrifices les plus fous parfois, et le désir de donner l’image d’une bonne fille serviable ne lui permet pas de fuir à l’autre bout du pays comme l’a fait sa sœur. Sa mère n’est pas méchante, elle est mauvaise.

Tu arrives tard !

C’est que je t’ai fait quelques courses.

Et tu as taché ta blouse !

Oui, une personne à la cantine à midi a lâché son plateau.

Ça fait négligé ! 

Je la mettrai à tremper en arrivant chez moi tout à l’heure.

Avant de partir, sors ma soupe du frigo, pose-la au chaud sur le bord du fourneau et mets un couvercle.

Elle s’exécute, et elle s’accroche à l’idée que les quelques marches et les deux étages qui les séparent l’une de l’autre est une sacrée chance pour elle. Que serait leur vie si elle était commune ?! En claquant enfin la porte de son modeste studio, elle s’appuie un instant contre le mur et ferme les yeux. La paroi dans son dos semble presque tiède comme un câlin. Elle n’en a jamais connu de la part de sa mère, seule sa grand-mère, décédée depuis si longtemps, portait sur elle un regard bienveillant. La seule « douceur » que sa mère lui propose parfois, c’est un carré de cette vieille tablette, au goût suranné, qu’elle conserve au frais derrière le récipient à soupe depuis que sa fille a eu la folle idée de lui acheter et gaspiller son argent. Il faut savoir limiter ses plaisirs, lui avait crié sa mère au lieu de lui dire merci. Il y a de quoi broyer du noir. Pourtant, sa grand-mère disait que c’est le chocolat que devrait souvent prescrire un médecin à ses patients. Puis elle se met à imaginer la vie de la femme du procureur, et elle sent monter en elle ce mélange de colère et tristesse. Puisqu’elle ne peut pas être sa femme, elle prendra sa défense. Même s’il avait eu la généreuse attention de partager et lui offrir le dernier chocolat de cette belle boite. Elle se souvient l’avoir fait fondre longtemps entre sa langue et son palais pour le déguster. C’était comme s’il lui avait offert toutes les viennoiseries et pâtisseries de la vitrine d’en face qu’elle regarde souvent avec envie et dont elle se prive depuis toujours. Mais était-ce une manière de la soudoyer, elle, qui s’applique à rester droite et ne pas sombrer dans la luxure ? parce qu’il a placé cette boite maintenant bien en vue pour la narguer, elle en est persuadée. Alors tant pis, il ne s’en tirera pas comme ça. C’est honteux de ne pas voir le mal qu’il fait ou qu’il est sur le point de faire. Honteux, mais il n’en reste pas moins bel homme, avec ce regard ténébreux et ce corps bien bâti. Tout le problème est là.

C’est un extrait de ce livre « Dans le murmure des feuilles qui dansent » de Agnès Ledig, rempli de personnages aussi attachants les uns que les autres, auquel j’ai ajouté les mots récoltés pour participer aux Plumes 21.04 chez Emilie.

Serait-il encore question d’annulation ?

Comment ? Serait-il encore question d’annulation ?! Oh non !

Les élèves ont travaillé sur le sujet, se sont décarcassés et espèrent bien porter cette machination à son terme. Ils ont tout de suite été emballés par le projet et l’ont accueilli avec enthousiasme et empressement. Ils ont cherché et trouvé des idées merveilleuses. On n’était pas loin d’affrontement parfois qui virait vite à la fanfaronnade.

Ils parlaient d’un défi un peu fou, le résultat est bluffant. Ils ont promis de tenir et remplir le cahier des charges en tous points. Chacun sera masqué de façon originale. Tout le monde portera une grosse tête qui lui couvrira correctement le visage et suffisamment ouverte et aérée sur l’arrière pour pouvoir garder cette structure durant toute l’exhibition. Une énorme femme-pantin vêtue de mille carrés de couleurs représentera Carmentran assis sur un char en bois. Et c’est l’ensemble qu’on brûlera le soir venu.

C’est Mademoiselle Merle, l’ancienne surveillante générale, qui les a inspirée. Celle qu’ils avaient surnommée Elmer depuis la nuit des temps pour se moquer de son caractère et de ses robes aussi sombres que l’oiseau éponyme. C’est elle aussi qui ne leur autorisait, comme seul moment de culture-détente durant le carême, l’entrée de la bibliothèque qu’en silence uniquement et sans musique, en confisquant les écouteurs et baladeurs des plus hardis, et qui privait de beignet celui ou celle qui ne respectait déjà pas les règles le mardi-gras. Oui, ils ont osé et ne se sont pas privés de dire tout ce qu’ils pensait d’elle.

C’est ma participation aux Plumes 21.03 chez Emilie avec les mots récoltés en gras.

Les aléas de la vie sont ainsi

Les aléas de la vie sont ainsi faits.

Mais on ne peut s’empêcher de constater que le hasard distribue plus de chance à certains qu’à d’autres, mine de rien. Chez Alex, la nostalgie a plutôt des traits d’angoisse et douleurs. A aucun moment elle ne souhaite revivre sa jeunesse. Elle se souvient. Les jours les plus heureux de son enfance sont ceux passés loin de la maison que ses parents avaient restaurée quand ils sont arrivés dans le New-Jersey lors de vacances d’été. En famille à six, avec ses frères et sœurs, sans ses grands-parents.

Elle ne s’est jamais résignée. A s’en rendre même malade à l’adolescence. Elle a un regret. De ne pas avoir su exprimer son premier mal-être à trois ans à peine. Elle ne connaissait pas encore les mots pour le dire. Et ces maux qu’elle avait subis, ces sœurs et elle allaient les encaisser pendant des années. Elle a parlé pourtant, elles ont décrit les faits et fait comprendre à leur parents leur détresse. Sans jamais obtenir l’intérêt escompté. Elles allaient devoir faire comme si elles n’en étaient pas affectées et comme si ce qui s’était passé n’avait pas de conséquence. A cet âge, comment ne pas croire les parents expliquant que c’était le mieux pour elles ?

Des souvenirs, elle en a et elle écrit. Comme les goûters où l’on discutait en dégustant le thé accompagné d’une madeleine remplacée par un banana-split les dimanches après-midi. Suivaient les parties de dames sur la petite table du salon proposées par sa grand-mère qu’elle gagnait souvent et qu’on aurait pu croire joyeuses, très vite assombries par l’haleine chaude de son grand-père soudain derrière elle qui se penchait dans son cou pour s’émerveiller de son vif entrain et de sa réussite.

Disparaître… Disparaître et ne jamais ré-apparaître, c’est ce dont elle rêve chaque fois que s’assoit son grand-père sur le bord de son lit en enlevant son dentier et, si elle résiste, sachant lui répéter d’une haleine fétide qu’il est un sorcier, qu’il pourrait la tourmenter jusqu’après la mort et qu’il ne faut rien dire à personne.

C’est ma participation aux deuxièmes Plumes chez Emilie pour 2021 avec les mots proposés et notés en gras pour parler du livre que je viens de fermer. Ce livre est tout autre de l’idée que j’avais eu en lisant la quatrième de couverture. Etudiante en droit à Harvard, Alex Marzano-Lesnevich est une farouche opposante à la peine de mort. Jusqu’au jour où son chemin croise celui d’un tueur emprisonné en Louisiane, Ricky Langley, dont la confession ébranle toutes ses convictions. Pour elle, cela ne fait aucun doute : cet homme doit être exécuté. Bouleversée par cette réaction viscérale, Alex ne va pas tarder à prendre conscience de son origine en découvrant un lien entre son passé, un secret de famille et cette terrible affaire. Elle n’aura alors qu’une obsession : enquêter sur les raisons profondes qui ont conduit Langley à commettre ce crime épouvantable.

Ce coin me semble idéal

– Où je me mets ? – Ce coin me semble idéal.

Berthe s’est laissé guider vers un amas de foin au-dessus duquel perçait le soleil entre les planches lâches de la grange, prodiguant une lumière chaude et intime. Posée sur une botte, Berthe attendait la suite, mal à l’aise.

– Eh bien, Berthe, a dit Norbert en attente d’une évidence.

– Oui ? Quoi ? a demandé Berthe, paumée.

– Nous sommes là pour peindre un nu.

– Et ?

Norbert n’a rien ajouté et a attendu que Berthe arrive à la conclusion par elle-même.

– Ah oui, merde, la robe !

Une femme si belle et des manières si rudes, Norbert avait trouvé un sujet en or. Berthe a commencé à baisser ses bretelles puis a ressenti une gêne inattendue.

– Ça vous dérangerait pas de vous tourner ?

– Aucunement.

Norbert avait l’habitude de la pudeur avant l’exhibition et s’est exécuté sans discuter.

– Norbert ?

– Oui, Berthe ?

– Votre chien. Il me reluque. Il me met mal à l’aise.

– Oh pardon. Allez viens Renoir.

Norbert a sorti le labrador de la grange, puis a préparé sa palette de fusains.

– Prenez votre temps, Berthe, et faites-moi signe quand vous êtes prête.

Les mots de Norbert lui donnaient confiance. Se dévoiler ainsi n’était pas habituel, mais elle sentait que ça allait être un grand moment de découverte. Elle essayait de faire le vide dans sa tête pour la garder froide. Elle retrouva très vite des gestes naturels pour se désaper, comme ceux qu’elle avait pour croquer dans une pomme ou pour attiser le foyer de sa cuisinière.

– Un « Bong » métallique a résonné alors que Berthe laissait glisser sa robe à grosses fleurs blanches à ses pieds. « Merde, le Luger ! »

– Tout va bien, Berthe ?

– Oui, c’est rien, c’est juste… un marteau qui traînait. Vous pouvez vous retourner.

Ce qu’a fait Norbert. Berthe s’est ainsi offerte, cheveux sauvages lâchés sur les épaules, les seins nus superbement dressés, et la fine petite culotte pour seul vêtement, était une image d’un érotisme fou. Le peintre a dû reprendre l’ascendant sur l’homme émoustillé, et a entamé la taille de ses fusains.

– Et, hum, Berthe, il s’agit d’un nu, je vous rappelle.

– Et ?

– Votre culotte, Berthe.

– Ah oui, je suis conne. Voilà.

Norbert a dégluti. Et le peintre s’est fait éclipser par l’homme pris d’une gaule grandiose.

– Je me mets dans quelle position ? a demandé Berthe innocemment. Norbert en a cassé le fusain entre ses doigts.

Je me permets de fusionner dans cet article ma participation aux premières Plumes de l’an 21 chez Emilie avec les mots récoltés (découverte blanc vide confiance croquer naturel grand métal dévoiler culotte tête froid foyer fusionner) avec un court extrait (en italique) du texte drôle et plein d’émotions que je viens de lire et qui colle admirablement au thème proposé pour remercier le Père Noël qui m’a offert ce petit bijou poétique: « Mamie Luger » de Benoît Philippon.

Petit Bosco a marché longtemps

Petit Bosco a marché longtemps.

Il avait décidé que c’était la meilleure des occasions pour soigner ses maux. Il est parti loin, très loin à en user le bout et la semelle de ses chaussures. Il avait besoin d’évasion certes, mais n’avait laissé aucun mot pour Mémé, pas même une virgule. Sa colère l’avait étouffé et empêché de se livrer.

Au fil des années qui l’ont vu grandir, elle n’avait jamais refusé de lui lire les plus beaux contes et légendes. Des histoires les plus farfelues ou les plus occultes qui calmaient ses peurs et le faisaient rire. Et lui, dont elle s’était tant occupée et qu’elle appelait son Petit Page, gardait le silence.

Les jours ont passé. Puis des semaines et des mois. Avant de déménager, elle a dû se débarrasser de tous ses livres. Elle s’en défit pour donner du plaisir à d’autres, qu’elle a dit. Ce fut cependant pour elle une sorte d’autodafé. Elle n’a emporté que le chat Pitre et son fauteuil préféré. Aujourd’hui son esprit s’envole à loisir et ses mots perdent leur vrai sens. S’il revient la voir par hasard, elle lui offrira de s’asseoir sur sa bibliothèque et de partager ses roses comme elle le fait à chaque fois avec moi quand je viens lui tenir compagnie les après-midis.

Pour répondre aux Plumes 22.20 chez Emilie avec les mots recueillis sur le thème Lecture (bibliothèque, page, virgule, rose, conte, autodafé, évasion, user, lire, livrer, loisir, occasion, occuper, occulte).

Le petit Bosco file sur l’ancien chemin de halage

Le petit Bosco file sur l’ancien chemin de halage.

Les bateaux à vapeur et les péniches aux chargements bâchés descendent le fleuve jusqu’à la mer. Il marche vite, droit devant lui. Tantôt, il aurait fait un signe de la main aux mariniers en criant qu’un jour il prendra leur place, mais là, il a plutôt envie de se cacher de honte ou par pudeur, et surtout par tristesse. Un brouillard dans ses yeux l’aveugle. Sa mère n’a pas mieux choisi que le jour de son anniversaire à lui, pour annoncer à tous qu’elle s’était mariée pendant son voyage à l’étranger. Les regards se sont tournés vers elle. C’était donc là son secret dont elle faisait mystère depuis quelques mois. Alors ce matin, sans plus en dire, il a décidé de mettre les voiles. Il a juste pris son sac à dos, et posé sur ses épaules son perroquet qui s’accroche à son nouveau pull bleu marine.

Et avant de fermer la porte, il a vérifié que ses écouteurs étaient bien fourrés au fond de sa poche. Sans bien chercher à les convaincre d’ailleurs, elle leur avait vaguement expliqué hier au soir pendant le dessert qu’elle n’avait jamais souhaité de grande assemblée, et qu’ils pouvaient tous comprendre sans devoir argumenter et délibérer devant un imposant conseil. Elle menait sa vie comme bon lui semblait. Alors lui-aussi a décidé et a choisi de n’échanger ni avec elle, ni personne. Il sait que son départ fera débat au sein de la famille. Qu’importe !?

Aujourd’hui, imperscrutable et sans en causer à quiconque, il va partir et les quitter tous. Est-ce ainsi que Marie-Béatrice croyait épater ses amies et sa famille en épousant cette brute !? C’était bien la peine de parler d’altruisme à ses triplés durant leur enfance. Qu’en reste-t-il ? Était-ce utile de leur asséner ces paroles et ces articles si vite périmés ? Il sait qu’agir de cette manière va le mettre dans une situation précaire, qu’il ne choisit pas la sécurité, mais il n’a pas envie de capituler. Il est perturbé, un feu brûle dans sa tête. Sacrebleu, ce sera terrible pour Mémé qui l’a tant aidé à remplir ses pages d’écriture. En pensant à elle, il touche sa poche située juste sur son cœur, et tâte le recueil des poésies dictées par son maître qu’elle aimait l’entendre réciter. Et les crêpes au beurre au parfum subtil et sublime de fleur d’oranger qu’elle lui faisait déguster. Tant pis ! A chaque pas, il glane rageusement d’une main crispée les épis de graminées sur le bas-coté. Ses doigts sont abîmés. Ses yeux brillants sont injectés de sang comme des rubis, ses orbites sont creusés. Lui, si calme d’habitude, a des envies de meurtres.

Il atteint les remparts. Ce n’est plus en mètres que se compte la distance qui le sépare de la maison, mais en dizaines de kilomètres maintenant.

Pour répondre dans l’ordre aux Plumes 14.20 chez Emilie avec les mots recueillis sur le thème Voile (mariée, vapeur, mystère, perroquet, bosco, cacher, pudeur, marine, secret, mer, anniversaire, brouillard, bleu, bâcher), au défi 123 chez Ghislaine avec 8 mots (débat, convaincre, argumenter, échanger, expliquer, délibérer, écouteurs, assemblée)  sur le thème Réunion et au Mot mystère 26 chez LilouSoleil dont les mots anagrammes de imperscrutable sont en italiques.

Le ciel était bleu hier et le vent de nord-ouest soufflait fort

Le ciel était bleu hier et le vent de nord-ouest soufflait fort.

Maman nous a fait poser les sacs de tourbe dans sa torpedo pour les vendre au marché. Avec l’argent on pourra réparer le toit écroulé de la grange qui obstrue le passage dont les poutres forment un vieux turbeh et passeront au rebut et en bois de chauffage cet hiver.

Pendant ces semaines sans école, elle nous a appris à labourer et à tisser en expliquant ce qu’était le boustrophédon, à bien doser les épices dans la soupe et la poudre à lever dans les gâteaux, à ramasser les œufs pondus sans ôter le leurre pour les poules, à buter les turneps, à opter de réciter quelque strophe plutôt que de bouder de trop suer sous le vent et la chaleur et de craindre de puer. 

Aujourd’hui, nous brodons les boutons plutôt que de les coudre, savons cuisiner presque aussi bien qu’elle de fameux brouets pour accompagner les tournedos du dimanche, ne faisons plus les bourdes du début, n’avons plus besoin de quelconque promesse pour nous booster et sommes plus soudés, à ce qu’elle dit. Elle doit être fière des résultats obtenus, car elle ne nous appelle plus « mauvaise troupe ».

Le ciel est bleu et le vent de nord-ouest souffle fort. C’est le premier jour de l’été et dans une semaine, ce sera la rentrée.
-On est sans doute sur la bonne voie cette fois-ci, a dit notre mère, cette date tombe à pic.
On la sentit de très bon poil soudain, comme si ce petit rien l’eut délivrée d’un poids.

C’est vrai qu’à cette saison, elle se doit de garder courage et ne donner aucun signe de faiblesse, car les travaux de force ont commencé et vont se poursuivre quelques mois encore.

Au coucher, après le fricot du soir comme d’habitude, que certains ont bâfrer, ce qui l’a un peu énervée, sans toutefois lui faire perdre patience, elle borde le petit et nous remercie d’un baiser sur la joue pour l’avoir bien aider et pour les efforts qu’on a su fournir dans la journée. Puis elle permet, à nous les plus grands, de laisser notre lampe éclairée pour lire un peu mais fait promettre d’éteindre dans une demi-heure tout au plus.
C’est une femme qui excelle de douceur et de tendresse, au caractère égal, mais reste intraitable sur certaines choses à ne pas négocier.

Cependant ce soir, le ciel est bleu sombre, le vent souffle encore et on subodore un heurt dans ses mots, ses paroles ont fait des rebonds dans sa bouche et sa langue un détour, comme si son bonheur allait s’user tout à coup. Alors prudents, nous pouvons oser un regard interrogateur.
-Demain je dois me rendre chez le meunier, répond-elle.
C’est Honoré, un homme de corpulence massive qui porte la tonsure et se dit abstème (mais ne peut duper personne) et vecteur d’ondes malsaines qui me donne envie de fuir. Le ciel sera-t-il encore bleu ?

J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce texte pour répondre aux Plumes 13.20 chez Emilie sur le thème Force avec les mots recueillis en gras, à Des mots, une histoire chez Olivia avec la récolte 49 dont les mots sont en gras, au défi 122 chez Ghislaine avec 8 mots en gras sur le thème Saison et au Mot mystère 24 chez LilouSoleil dont les mots anagrammes sont en italiques.

 

Tôt le matin avec une seule arme

Elle partait tôt le matin avec une seule arme, son appareil photo.

Comme d’autres auraient enfilé leurs gants et pris un sécateur pour aller couper un bouquet de roses au jardin, elle portait cette sacoche en bandoulière et partait. Dans ce fourreau, plusieurs objectifs y avaient leur place et valaient toutes les flèches et munitions du meilleur des guerriers.

Bien sûr, qu’elle revenait avec un bouquet. Des fleurs des prés qu’elle arrangeait aussitôt dans une vieille cruche qui lui servait de vase par amour de la récupération et pour mettre toujours un peu de nature dans l’office. Et quand elle affichait également un magnifique sourire qui éclairait son visage, alors on savait qu’elle passerait la soirée dans sa chambre noire, petit atelier qu’elle avait aménagé dans un coin du grenier avec de lourds rideaux épais d’un bleu très sombre devant la fenêtre.

Elle développait ses photos en noir et blanc. En grands formats quelquefois, comme le papillon avec ces centaines de points aux milles nuances de gris qui décore le salon, et l’abeille en plein travail chargée de pollen qui orne la cuisine. Pour nous, elle était notre Doisneau. Et là elle éclatait de rire en qualifiant son travail de pachydermique, et ajoutait que malheureusement ils n’avaient que leurs initiales en commun.

Nous, les enfants, elle ne nous a pas emmener trop jeunes dans cette sorte de chasse, et jamais à plusieurs. Pourtant, à tour de rôle, elle nous a expliqué comment s’y prendre. Elle manipulait cet instrument, assez lourd cependant, du bout des doigts. « D’abord, il faut se fixer une cible pour bien l’atteindre », disait-elle. « Insectes ou fleurs, animaux plus gros ou paysages… » Elle étalait toujours un linge propre et soyeux sur ses genoux pour poser ce système et en détailler chaque partie. Elle laissait ses mains flirter délicatement sur l’appareil et le caresser, et disait qu’il ne fallait pas forcément se concentrer mais surtout tirer juste, au bon moment, en tenant compte de tous éléments.

J’ai pu la prendre en photo, un jour, à mon tour, d’après ses indications et le résultat lui a beaucoup plu puisqu’elle a bien voulu en faire deux tirages, un qu’elle a inséré dans un petit cadre pour son atelier, et un autre en grand format pour moi.

Pour répondre aux Plumes 12.20 chez Emilie avec les mots proposés (atteindre, concentrer, objectif, tirer, arme, bleu, pachydermique, amour, doigt, flèche, fourreau, flirter) sur le thème « cible »

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Ils sont venus jouer

Ils sont venus jouer à plusieurs et sont d’abord passés à côté du violon.

D’une main baladeuse, inconscients et tranquilles, ils ont tous gratter de leurs doigts sur ses cordes mais aucune révélation n’en est sortie, alors ils l’ont dédaigné et laissé dormir.
Tout était préparé et rangé, déballé et trié à leur intention. Chacun criait à tort et à travers avec la seule volonté de vouloir gagner.

Le plus jeune des deux frères était déguisé en indien et s’éclipsa sous le tipi. Puis il en est ressorti tout souriant et content de lui. L’autre de la fratrie patiemment attendait.
Quelque chose a turlupiné les nouveaux sans doute, car ils ont tous voulu se déguiser eux-aussi et rentrer sous l’abri à tour de rôle pour connaître ce qu’avait ressenti le petit et qui l’avait tant ravi. Usant maintes manigances, ils étaient très curieux et prêts à soudoyer l’un et l’autre et à dépenser forte séduction pour aller le premier au bout du suspens. Et puis ils sortaient de ce refuge, l’un après l’autre, ahuris et déçus.
Alors ils ont demandé explication au mignon absorbé à dessiner un amabié coloré sur une feuille de papier. Il avait simplement caressé le chat Mistigri qui lui avait souri. C’était subtil mais ça lui portait chance pour toute sa journée.
Tous crièrent à tort et à travers avec la seule volonté de tout foutre en l’air. Avec mépris en voyant là de l’abus, ils décidèrent de partir. Très énervés et se croyant trompés, ils donnaient des coups de pieds dans les boites, vidant les jeux à leur portée, jetant et répandant les jetons à terre sous les yeux atterrés de celui qui les avait invités.

Pour répondre à des mots, une histoire chez Olivia avec les mots de la récolte 47 ( tipi, révélation, turlupiner, tranquille, amabié, dormir), aux Plumes 11.20 chez Emilie avec les mots proposés sur le thème du jeu ( rôle, subtil, violon,gratter, jetons, chance, ahuri, dépenser, manigance, mistigri, séduction, suspens, soudoyer) et au défi 120 de Ghislaine avec les mots proposés (jeter, trier, ranger, vider, abus, refuge, mépris, volonté) ou sur le thème du « changement ».

Mémé avait peur d’oublier

Mémé avait peur d’oublier…

Elle craint toujours, et chaque jour doit trouver assez d’énergie pour stimuler sa mémoire. Le changement a déjà été énorme pour elle quand elle n’a plus pu voyager autant qu’elle l’aurait voulu et a du abandonner sa fonction de sniper. Elle a bien sûr mesurer le pour et le contre. Elle a évalué cette vaste fatigue accumulée au fil des mois et années, de ses rapides allers et retours, sous diverses latitudes. Elle a pesé entre la liberté qu’elle allait perdre et sa santé à préserver, ce trésor, qu’elle pourrait garder. Et elle a finalement opté pour le côté positif de cette affaire. Elle allait rester et profiter enfin. Mais aujourd’hui, à la longue, elle redoute l’abêtissement.

Mémé n’a jamais beaucoup parlé de son métier, beaucoup ignoraient même ce qu’elle faisait, elle a toujours été une femme réservée. Aussi quand je lui dis que j’avais retrouvé ses carnets dans le grenier, je vis là une aubaine à lui donner ce courage dont elle avait besoin pour garder le cap, et partager encore de bons moments conviviaux et familiaux. Son œil brilla et un rire enchanteur découvrit ses dents jusqu’au fond de sa gorge. Une larme de joie et un éclat de tantale sur sa molaire gauche firent apparaître des étoiles dans ses yeux et sa bouche.

Mémé a sauté à pieds joints de son fauteuil et me demanda expressément d’arrêter de tergiverser et de cesser d’être pinailleuse à ce point. Elle insista alors pour que j’aille chercher tout ça tout de suite et que je l’apporte dans son cabinet, qui n’est autre que notre salon de famille, où nous sommes quotidiennement. Il faut la voir ! Elle a les yeux d’un bleu profond, attirant et c’est extrêmement difficile de fuir son regard envoûtant. Convivial, oui, ça va l’être ! Familial, un peu moins car certaine chose restera entre nous deux. Je crois comprendre qu’il y a quelque secret à ne pas divulguer.

Mémé passe la main sur le paquet avant de l’ouvrir. Le tout est comme je l’ai trouvé, bien conservé et ficelé dans un emballage kraft qu’elle défait avec soin. Elle prend son temps et savoure chaque seconde, elle empile les cahiers suivant un ordre très personnel en formant des petits tas bien parallèles, comme si elle cherchait un dossier précis. Subitement et précieusement, elle pince une double feuille entre deux doigts, la tire et me fait signe d’approcher ma chaise en silence. C’est un courrier…

Mémé sourit, son visage est devenu rouge et étincelle. On dirait qu’elle a rajeuni soudain, et ressemble à un cardinal parti conquérir une contrée inconnue au delà de l’équateur.

Je remercie d’abord les proposeurs de défis et de mots, avec beaucoup de plaisir, je réponds là :
au défi 119 chez Ghislaine avec les mots proposés (regard, fuir, peur, réserver, donner, énergie, famille, cap, stimuler) et sur le thème du face à face,
à des mots, une histoire chez Olivia avec les mots de la récolte 46 (cabinet, tergiverser, tantale, abêtissement, pinailleuse, emballage, partager, convivial, sniper)
et aux Plumes 10.20 chez Emilie  avec les mots recueillis d’après le thème latitude (changement, voyager, étoile, mesurer, équateur, positif, vaste, parallèle, liberté, trésor, cardinal courrier, conquérir) 

et je continue mes ouvrages avec mes plus petits bouts de laines et tissus.

A la queue leu leu

Un groupe de personnes, une dizaine à peu près, marchaient à la queue leu leu.

Des randonneurs du troisième âge se suivaient ainsi chaque trimestre, pas plus souvent et par jour de beau temps seulement, tous espacés d’un bon mètre ou deux, suite à une habitude prise depuis le printemps légendaire de l’an XX qui avait marqué tout l’univers des terriens.

Ils voient un poulet au bord de la route, qui la traverse subitement.

-Pourquoi ce poulet a-t-il traversé la route ? dit l’un
A chacun sa réponse, et de participer ardemment au piaillement d’une basse-cour humaine tout juste sortie du poulailler.

-Pour aller de l’autre côté, pardi

-Pour laisser ses empreintes dans la boue fraîche. Regarde celles du tracteur sont encore visibles ici.

-Fait un drôle de bruit cet engin. Problème de courroie. Va pas travailler longtemps.

-C’est fou comme la brume du matin peut humidifier l’air et la terre en cette saison.

-Et je me demande si ces frimas sont bien bons pour la floraison des pruniers.

-Sans vouloir te froisser, t’as vu la tête du poulet ? Plutôt dodu, à mon avis c’est une poule ! Et cou-nu en plus de ça!

-Je te mets au défi de reconnaître un ornithorynque qui sortirait d’un terrier.

-C’est quoi ça, un produit de la ferme ?

-En quelque sorte, que l’on fait cuire à l’envers attaché au bout d’une cravate dans une lessiveuse remplie d’eau bouillante.

-Ecoutez le clapotis dans les fossés et les canaux…

-C’est le paysan qui vient d’ouvrir les vannes

-Où ça ? où ça ?

-Là-bas, près de la cabane. Il a arrêté son moteur et on aperçoit son chapeau au-dessus des grandes pousses.

-Bon, on continue notre tour, oui ou non ? on avance à rien à vouloir construire le monde avec des mots !

Pour sourire et répondre, à la queue leu leu, au défi 118 chez Ghislaine avec 8+2 mots (empreinte, visible, brume, froisser, envers, légendaire, clapotis, frimas, cou, pousses) ou le thème « Temps », aux mots, une histoire chez Olivia avec les mots de la récolte 45 (moteur, mots, terrier, ornithorynque, chapeau, cravate, cabane) et aux Plumes 9.20 chez Emilie avec les mots du thème ferme (tracteur poule, produit, lessiveuse, travailler, ouvrir, poulailler, paysan, dodu,  prunier, terre, construire, continuer, courroie).

 

 

Là-haut

« Là-haut sur la montagne était un vieux chalet… »

Ça c’est mon voisin du dessus qui entraîne sa voix de bon matin. Ah mes chers voisins ! Dans peu de temps c’est celui du dessous qui va iodler comme s’ils se répondaient tous les deux.
Eh tiens ! les tac tac des talons de la petite nouvelle du cinquième… comme de légères notes de musique… C’est une joyeuse résonance dans cette cour un peu grise parfois. Toujours à la dernière mode, la jeunette. Oh mais elle a déjà mis ses habits de saison !
Ah ça m’aurait étonné que la concierge la laisse filer sans lui dire deux mots. Et la grande greluche du premier avec sa toute nouvelle teinture couleur corbeau et ses yeux de radar est déjà accoudée à sa fenêtre, faisant bonne mine pour taper une causette, toujours prête à saisir le plus petit ragot et le faire enfler dans le quartier. Elle s’en mêle bien sûr, et sa voix aiguë raisonne entre les murs. Oups !
Sa phrase se termine dans un hoquet à peine audible. Bien fait ! Car du plus profond du porche, comme un boomerang et d’une voix glaciale, la concierge lui signale, son balai à la main, que le journal est arrivé et restera à sa disposition pendant une heure seulement, parce que maintenant il faut penser aux autres résidents, tout en lorgnant sur la jupette colorée de celle qui s’en va et souriant un court instant puis grondant après un chien-sans-laisse qui vient d’essayer de lever la patte sur son dernier plus joli pot de fleurs devant la porte d’entrée.

C’est ma participation aux Plumes 8.20 chez Emilie avec les mots proposés sur le thème de l’écho (montagne, mode, ragot, radar, corbeau, iodler, boomerang, hoquet, résonance, journal, gronder, profond, glacial).

Au pied du buffet d’orgue

On s’asseyait au pied du buffet d’orgue,

et on allongeait bien droites nos jambes sur le plancher pour calmer notre cœur et apaiser notre respiration. C’est sûr qu’après avoir monté à toute vitesse l’escalier de pierres en spirale, notre trio était essoufflé mais c’était là notre cachette préférée.
Nos forfaits emballés dans une serviette à carreaux étaient posés sur nos genoux. Et on rigolait enfin ! Pas très fiers de nous mais heureux de n’avoir rien renversé, on allait se régaler car on était gourmand. Je ne sais plus qui en premier avait eu l’idée de ce chapardage, mais ce sortilège nous habitait depuis quelques temps déjà. C’étaient les jeudis après-midis que nos mères préparaient  les pâtisseries avec beaucoup d’amour, et dès que l’odeur se répandait dans la maison, c’était très difficile de résister.
On savait que le partage n’allait pas être équitable du tout pour le reste de nos familles, mais c’était plus fort que nous. La mienne ne fut pas dupe et m’expliqua avec douceur que ce maraudage devait cesser parce que ça n’était pas honnête et que c’en devenait écœurant pour la fratrie. Elle a bien du me le répéter dix ou vingt fois sans changement d’attitude de ma part. Comment résister à un tel délice ? Je continuai à voler.
On était trop content de sentir cette odeur de sucre s’échapper de nos serviettes tièdes. L’énorme bretzel qu’apportait Fifi étaient couvert de gros grains de sel qu’on mangeait en premier, avant de le couper en trois et de n’en faire presque une bouchée. Les cookies de la mère de Loulou, tendres à l’intérieur et assez croquants sur le dessus étaient à tomber par terre. Et moi maintenant, j’ouvrais en dernier le sachet de fraises tagada que j’avais acheté avec une pièce de ma tirelire, parce que Maman avait fini par me punir et me priver de dessert si je n’arrêtais pas rapidement ce méchant caprice.

Pour répondre aux Plumes 7.20 chez Emilie avec les mots proposés de la semaine ( pâtisserie, amour, sucre, orgues, sel, fraise, sortilège, caprice, trio, famille, cookie, douceur, écœurant ) sur le thème du délice.