Tôt le matin avec une seule arme

Elle partait tôt le matin avec une seule arme, son appareil photo.

Comme d’autres auraient enfilé leurs gants et pris un sécateur pour aller couper un bouquet de roses au jardin, elle portait cette sacoche en bandoulière et partait. Dans ce fourreau, plusieurs objectifs y avaient leur place et valaient toutes les flèches et munitions du meilleur des guerriers.

Bien sûr, qu’elle revenait avec un bouquet. Des fleurs des prés qu’elle arrangeait aussitôt dans une vieille cruche qui lui servait de vase par amour de la récupération et pour mettre toujours un peu de nature dans l’office. Et quand elle affichait également un magnifique sourire qui éclairait son visage, alors on savait qu’elle passerait la soirée dans sa chambre noire, petit atelier qu’elle avait aménagé dans un coin du grenier avec de lourds rideaux épais d’un bleu très sombre devant la fenêtre.

Elle développait ses photos en noir et blanc. En grands formats quelquefois, comme le papillon avec ces centaines de points aux milles nuances de gris qui décore le salon, et l’abeille en plein travail chargée de pollen qui orne la cuisine. Pour nous, elle était notre Doisneau. Et là elle éclatait de rire en qualifiant son travail de pachydermique, et ajoutait que malheureusement ils n’avaient que leurs initiales en commun.

Nous, les enfants, elle ne nous a pas emmener trop jeunes dans cette sorte de chasse, et jamais à plusieurs. Pourtant, à tour de rôle, elle nous a expliqué comment s’y prendre. Elle manipulait cet instrument, assez lourd cependant, du bout des doigts. « D’abord, il faut se fixer une cible pour bien l’atteindre », disait-elle. « Insectes ou fleurs, animaux plus gros ou paysages… » Elle étalait toujours un linge propre et soyeux sur ses genoux pour poser ce système et en détailler chaque partie. Elle laissait ses mains flirter délicatement sur l’appareil et le caresser, et disait qu’il ne fallait pas forcément se concentrer mais surtout tirer juste, au bon moment, en tenant compte de tous éléments.

J’ai pu la prendre en photo, un jour, à mon tour, d’après ses indications et le résultat lui a beaucoup plu puisqu’elle a bien voulu en faire deux tirages, un qu’elle a inséré dans un petit cadre pour son atelier, et un autre en grand format pour moi.

Pour répondre aux Plumes 12.20 chez Emilie avec les mots proposés (atteindre, concentrer, objectif, tirer, arme, bleu, pachydermique, amour, doigt, flèche, fourreau, flirter) sur le thème « cible »

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17 réflexions sur “Tôt le matin avec une seule arme

    • Il y a du vrai, du vécu et… les mots, alors oui, c’est une vraie histoire, mais pas une histoire vraie cent-pour-cent. Merci Emile et très belle semaine. Je suis en retard sur « mes web-lectures », je me suis attardée dans la coupe d’un vrai lierre, avec des troncs aussi gros que mes bras, c’est colossal !

  1. Ma mère ne savait pas se promener sans ramener des fleurs cueillies au bord des routes et des chemins mais elle ne faisait pas de photo. Elle aurait 106 ans, la photo n’était pas courante.
    Bonne fin de semaine.

    • J’ai fait un bouquet de quelques grandes herbes de mon petit pré l’autre jour, et je n’en revenais pas de la variété de plantes, je l’ai ficelé pour l’accrocher tête en bas, car certaines tiges avec le port difficile, jolies pourtant à plusieurs au vent en milieu naturel… Ah, nos chères mamans! Très belle semaine Claudie

    • Je suis émerveillée quand même de voir toutes ces photos et vidéos que l’on peut faire rien qu’avec un téléphone! Au goût douteux parfois, j’en conviens ! Merci de tes mots Oncle Dan, très belle semaine

    • Et dire « qu’avant » (il n’y a pas si longtemps, hein Ghis ?!) les tirages n’étaient qu’en N&B.
      Ce mot était difficile à placer. Très belle semaine

  2. Pingback: Les textes des Plumes chez Émilie 12.20 | LES PETITS CAHIERS D'EMILIE

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