Le petit Bosco file sur l’ancien chemin de halage.
Les bateaux à vapeur et les péniches aux chargements bâchés descendent le fleuve jusqu’à la mer. Il marche vite, droit devant lui. Tantôt, il aurait fait un signe de la main aux mariniers en criant qu’un jour il prendra leur place, mais là, il a plutôt envie de se cacher de honte ou par pudeur, et surtout par tristesse. Un brouillard dans ses yeux l’aveugle. Sa mère n’a pas mieux choisi que le jour de son anniversaire à lui, pour annoncer à tous qu’elle s’était mariée pendant son voyage à l’étranger. Les regards se sont tournés vers elle. C’était donc là son secret dont elle faisait mystère depuis quelques mois. Alors ce matin, sans plus en dire, il a décidé de mettre les voiles. Il a juste pris son sac à dos, et posé sur ses épaules son perroquet qui s’accroche à son nouveau pull bleu marine.
Et avant de fermer la porte, il a vérifié que ses écouteurs étaient bien fourrés au fond de sa poche. Sans bien chercher à les convaincre d’ailleurs, elle leur avait vaguement expliqué hier au soir pendant le dessert qu’elle n’avait jamais souhaité de grande assemblée, et qu’ils pouvaient tous comprendre sans devoir argumenter et délibérer devant un imposant conseil. Elle menait sa vie comme bon lui semblait. Alors lui-aussi a décidé et a choisi de n’échanger ni avec elle, ni personne. Il sait que son départ fera débat au sein de la famille. Qu’importe !?
Aujourd’hui, imperscrutable et sans en causer à quiconque, il va partir et les quitter tous. Est-ce ainsi que Marie-Béatrice croyait épater ses amies et sa famille en épousant cette brute !? C’était bien la peine de parler d’altruisme à ses triplés durant leur enfance. Qu’en reste-t-il ? Était-ce utile de leur asséner ces paroles et ces articles si vite périmés ? Il sait qu’agir de cette manière va le mettre dans une situation précaire, qu’il ne choisit pas la sécurité, mais il n’a pas envie de capituler. Il est perturbé, un feu brûle dans sa tête. Sacrebleu, ce sera terrible pour Mémé qui l’a tant aidé à remplir ses pages d’écriture. En pensant à elle, il touche sa poche située juste sur son cœur, et tâte le recueil des poésies dictées par son maître qu’elle aimait l’entendre réciter. Et les crêpes au beurre au parfum subtil et sublime de fleur d’oranger qu’elle lui faisait déguster. Tant pis ! A chaque pas, il glane rageusement d’une main crispée les épis de graminées sur le bas-coté. Ses doigts sont abîmés. Ses yeux brillants sont injectés de sang comme des rubis, ses orbites sont creusés. Lui, si calme d’habitude, a des envies de meurtres.
Il atteint les remparts. Ce n’est plus en mètres que se compte la distance qui le sépare de la maison, mais en dizaines de kilomètres maintenant.
Pour répondre dans l’ordre aux Plumes 14.20 chez Emilie avec les mots recueillis sur le thème Voile (mariée, vapeur, mystère, perroquet, bosco, cacher, pudeur, marine, secret, mer, anniversaire, brouillard, bleu, bâcher), au défi 123 chez Ghislaine avec 8 mots (débat, convaincre, argumenter, échanger, expliquer, délibérer, écouteurs, assemblée) sur le thème Réunion et au Mot mystère 26 chez LilouSoleil dont les mots anagrammes de imperscrutable sont en italiques.