Mémé avait peur d’oublier

Mémé avait peur d’oublier…

Elle craint toujours, et chaque jour doit trouver assez d’énergie pour stimuler sa mémoire. Le changement a déjà été énorme pour elle quand elle n’a plus pu voyager autant qu’elle l’aurait voulu et a du abandonner sa fonction de sniper. Elle a bien sûr mesurer le pour et le contre. Elle a évalué cette vaste fatigue accumulée au fil des mois et années, de ses rapides allers et retours, sous diverses latitudes. Elle a pesé entre la liberté qu’elle allait perdre et sa santé à préserver, ce trésor, qu’elle pourrait garder. Et elle a finalement opté pour le côté positif de cette affaire. Elle allait rester et profiter enfin. Mais aujourd’hui, à la longue, elle redoute l’abêtissement.

Mémé n’a jamais beaucoup parlé de son métier, beaucoup ignoraient même ce qu’elle faisait, elle a toujours été une femme réservée. Aussi quand je lui dis que j’avais retrouvé ses carnets dans le grenier, je vis là une aubaine à lui donner ce courage dont elle avait besoin pour garder le cap, et partager encore de bons moments conviviaux et familiaux. Son œil brilla et un rire enchanteur découvrit ses dents jusqu’au fond de sa gorge. Une larme de joie et un éclat de tantale sur sa molaire gauche firent apparaître des étoiles dans ses yeux et sa bouche.

Mémé a sauté à pieds joints de son fauteuil et me demanda expressément d’arrêter de tergiverser et de cesser d’être pinailleuse à ce point. Elle insista alors pour que j’aille chercher tout ça tout de suite et que je l’apporte dans son cabinet, qui n’est autre que notre salon de famille, où nous sommes quotidiennement. Il faut la voir ! Elle a les yeux d’un bleu profond, attirant et c’est extrêmement difficile de fuir son regard envoûtant. Convivial, oui, ça va l’être ! Familial, un peu moins car certaine chose restera entre nous deux. Je crois comprendre qu’il y a quelque secret à ne pas divulguer.

Mémé passe la main sur le paquet avant de l’ouvrir. Le tout est comme je l’ai trouvé, bien conservé et ficelé dans un emballage kraft qu’elle défait avec soin. Elle prend son temps et savoure chaque seconde, elle empile les cahiers suivant un ordre très personnel en formant des petits tas bien parallèles, comme si elle cherchait un dossier précis. Subitement et précieusement, elle pince une double feuille entre deux doigts, la tire et me fait signe d’approcher ma chaise en silence. C’est un courrier…

Mémé sourit, son visage est devenu rouge et étincelle. On dirait qu’elle a rajeuni soudain, et ressemble à un cardinal parti conquérir une contrée inconnue au delà de l’équateur.

Je remercie d’abord les proposeurs de défis et de mots, avec beaucoup de plaisir, je réponds là :
au défi 119 chez Ghislaine avec les mots proposés (regard, fuir, peur, réserver, donner, énergie, famille, cap, stimuler) et sur le thème du face à face,
à des mots, une histoire chez Olivia avec les mots de la récolte 46 (cabinet, tergiverser, tantale, abêtissement, pinailleuse, emballage, partager, convivial, sniper)
et aux Plumes 10.20 chez Emilie  avec les mots recueillis d’après le thème latitude (changement, voyager, étoile, mesurer, équateur, positif, vaste, parallèle, liberté, trésor, cardinal courrier, conquérir) 

et je continue mes ouvrages avec mes plus petits bouts de laines et tissus.

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41 réflexions sur “Mémé avait peur d’oublier

  1. 3 défis d’écriture en un ! Je trouve déjà l’exercice difficile avec un seul, alors triple bravo ! 🙂
    Comme souvent ton récit fait la part belle à la tendresse et décidément c’est bon à lire. Merci Patchcat.

    • Tes mots sont pleins de douceur ici 😉
      Avant tout, c’est pour moi le premier défi de mettre de la douceur et tendresse dans le texte 😉
      et si ma mauvaise humeur veut absolument sortir, j’écris le contraire ou j’essaie d’en affubler un affreux personnage de façon exagérée pour que ce soit malgré tout rigolo.

    • C’est sûr que ça fait rire, dit comme ça, mais la mienne l’était un peu pour savoir éliminer les souris avec ses tapettes placées pile au bon endroit 😉

  2. Elle en a de la chance, la mémé ! Sauter à pieds joints de son fauteuil ? Une ancienne James Bond’girl. Sûrement ! Ses yeux d’un bleu profond sont un indice à ne pas négliger !
    J’aime ces petits carnets pleins de choses à dire ou à ne pas dire. J’en ai rempli quelques-uns mais je me suis arrêtée avant les « ne pas dire » ! 😀
    Bisous

    • Merci de tes mots doux MJo 😉 J’avais une grand-mère qui se levait encore comme ça très rapidement de son fauteuil à plus de 85ans, elle avait de beaux yeux bleus et en a laissé dans les yeux de deux de mes filles. Pour les carnets, personnellement, je n’en ai jamais écrits, maintenant que tu le dis, il ne devait y avoir que des « à ne pas dire » 😉 Ce que j’ai fait à une époque par contre, je me suis écris des lettres que j’ai enfouies et dispersées entre les linges, les draps et les habits dans mes armoires, et s’il en tombe une de temps en temps, je l’enfouis ailleurs. Je devrais les jeter maintenant…

      • Écrire est un bon exutoire. Je me souviens avoir été très en colère après ma belle-mère. Mais je ne voulais pas faite plus de peine que nécessaire à Jean qui voyait bien que… alors j’ai jeté ma colère sur le papier. Et puis j’ai relu mon fiel et me suis rendu compte que j’avais un peu exagéré. J’ai tout brûlé mais me suis sentie nettement mieux ensuite.
        Il y a longtemps que je n’écris plus que pour me faire plaisir et accessoirement à d’autres. Bises

  3. Pingback: Les textes des Plumes chez Emilie 10.20 | LES PETITS CAHIERS D'EMILIE

    • Bien sûr que les souvenirs sont bons 😉 Toujours, car on ne se souvient que de ceux-là ❤ Bien mieux que quand on les vit vraiment ! Tes mots sont pleins de sourires

  4. Bon jour,
    Y a toujours des secrets de famille … et souvent, ils s’enterrent … et d’autres fois cela fait froid dans le dos et d’autres secrets sont plus légers … 🙂
    Max-Louis

    • … ou deviennent plus légers avec le temps, et rendent la situation moins grave et peu importante 😉 ou c’est juste parce que certain propose un mot qui doit se fondre dans l’histoire ❤ Bon jour à toi-aussi

  5. Bonjour, ca y est j’étais partie ! Heureusement (et dommage !) c’est court autrement je restais là dans mon fauteuil et j’y passais la journée à lire la suite
    Et devenais spiner ! Comme mémé !
    Bonne journée et à bientôt.
    Bises annie.

    • C’est court, parce que je ne sais pas faire long 😉
      et j’avoue que j’ai un faible pour les « nouvelles ».
      ça me fait plaisir de lire ces mots-là ❤

  6. ah oui! encore trois en un! je ne l’avais pas du tout ressenti, c’est formidable!
    et vive la mémé sniper 🙂
    (ça pourrait donner lieu à une suite?)

  7. J’adoreeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee
    Dis elle a sa carte de Sécu Mémé ? Elle a une mutuelle car avec son métier , elle doit avoir bon pied, bon oeil !!! Snipper !! rien que ça !! Elle cotise pour sa retraite ??
    Merci pour ce moment de plaisir a te lire c’est génial !!
    Bisous !

    • Je sais que c’est gonflé, mais je savais que ça allait faire sourire 😉 En voyant les gens passer dans la rue, ne t’interroges-tu pas parfois sur leur métier ou profession qu’ils pourraient bien exercer ? Pourquoi n’y aurait-il pas un sniper au milieu d’eux ? ❤ Merciiiiiii de tes mots Ghis

  8. Pingback: D’une couverture à l’autre 4 – Olivia Billington

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