La vraie vie

Adeline Dieudonné commence La vraie vie par ces mots :

A la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres. Des daguets, des sangliers, des cerfs. Et puis des têtes d’antilopes, de toutes les sortes et de toutes les tailles, springboks, impalas, gnous, oryx, kobus…

Et cette fille continue son histoire et nous emporte dans sa vie

Gilles venait se blottir dans mon lit tous les soirs. Le nez dans ses cheveux, je pouvais presque entendre ses cauchemars. J’aurais donné tout ce que j’avais pour pouvoir remonter le temps, revenir au moment où j’avais demandé cette glace. J’ai imaginé cette scène des milliers de fois. Cette scène où je dis au glacier: « Chocolat-stracciatella dans un cornet, s’il vous plait monsieur ». Et il me dit: « Pas de chantilly aujourd’hui, mademoiselle? » Et je réponds: « Non merci, monsieur ». Et ma planète n’est pas aspirée dans un trou noir. Et le visage du vieux n’explose pas devant mon petit frère et ma maison. Et je continue à entendre la « Valse des fleurs » le lendemain et le surlendemain; et l’histoire s’arrête là. Et Gilles sourit.

A la fin de l’année scolaire, mon prof de sciences a convoqué mes parents. Ma mère est venue seule. Mon prof tenait à ce que je sois présente lors de l’entretien. Je ne l’aimais pas beaucoup parce qu’il sentait la crème aigre. Et puis il faisait des rapprochements entre les concepts scientifiques et philosophiques qui étaient intéressants, mais qui ralentissaient le cours.

Le professeur Pavlovic me disait que j’avais désormais le niveau pour intégrer les plus grandes facultés de physique. Cela faisait maintenant deux ans que j’allais le voir régulièrement.Et mon père n’en savait toujours rien. Je m’arrangeais pour planifier nos rendez-vous pendant les heures de bureau, quand mon père était au parc d’attractions. Mais maintenant qu’il n’y était plus, ça devenait beaucoup plus compliqué. Surtout qu’il m’observait. Il s’ennuyait, il n’avait plus rien a faire de ses journées et il ne quittait presque plus la maison.

D’une plume drôle et fulgurante, Adeline Dieudonné campe des personnages sauvages, entiers. Un univers acide et sensuel. Elle signe un roman coup de poing. « La vraie vie » est son premier roman.

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Le soleil sous la soie

Le soleil sous la soie de Eric Marchal

Les premiers mots :

Duché de Lorraine, janvier 1694
La masure lui tenait chaud comme un manteau en drap d’Espagne. Il l’avait avisé, à la sortie du bois de Nomeny, alors que le ciel crayeux avait crevé sur lui une armée de flocons neigeux, puis il avait tiré jusqu’à l’épuisement sur les rênes de sa mule qui refusait d’y entrer, et s’était écroulé, avec sa bête, devant l’âtre rempli d’une couverture de cendres froides. A son réveil, il avait constaté avec soulagement la présence d’un fagot de bois sec, qu’il s’était empressé de faire crépiter. Il serait temps, le lendemain, d’aller chercher quelques branches mortes afin de rendre le tas tel qu’il l’avait trouvé. L’habitation, tout en torchis, était inoccupée. Peut-être une famille qui avait fui au passage des troupes françaises. Ou de la disette, qui rôdait…

Quatrième de couverture

A l’aube du 17ème siècle, médecins et chirurgiens se livrent une guerre féroce. Suite au décès d’un de ses patients, Nicolas Déruet, chirurgien ambulant, est contraint à l’exil. De la campagne lorraine aux steppes hongroises, des palais royaux aux hôpitaux militaires, il n’aura de cesse de perfectionner sa technique pour laver son honneur. De toutes les opérations, la plus difficile sera celle qui touche à son cœur : entre Rosa, marquise de Cornelli, et Marianne Pajot, accoucheuse, le choix relève d’une toute autre science…

« Un livre exceptionnel » écrit Valérie Expert de France-Info
« Le meilleur roman historique depuis « Les piliers de la Terre » écrit Gérard Collard

L’auteur s’est appliqué à restituer, avec beaucoup de précision, la vie quotidienne de cette fin et début de siècles.

Autre avis que j’apprécie beaucoup ici.

Naître et ne plus être l’ivre

Naître et ne plus être l’ivre
Bilboquet dont le corps taillé dans un bois dur
Manque encore d’élasticité.
Libre de ne plus être l’hêtre,
Éclats de rire et détente, sauter et jouer,
S’imprégner de sueur dans une main trop serrée,
Pour enfin, plus ou moins, s’apaiser
Au son d’une guitare un jour ensoleillé.
Et juste après, dans une malle, lézarder
Et regarder
L’être et la plume écrire un livre.

Pour répondre aux Cahiers d’Emilie et Plumes d’Asphodèle sur un thème choisi et des mots proposés (le titre m’est venu d’un article que j’ai vu sur le Net).

Agenda onirique

La fée vrillée !? bien sûr que j’en ai rêvée pour l’agenda onirique.

J’avais encore jamais été au phare à mentir. Il a fallu quand même que le mistral souffle très fort pour que le vent m’emporte jusqu’ici. Je suis tombé là comme un cheveu sur la soupe (enfin, façon de parler parce que je n’avais toujours rien trouvé à me mettre sous la dent). Après avoir longé la route des bruyères (ce devait être ça puisqu’il y en avait plein au bord du chemin) j’étais maintenant arrivé sur la route du beau repère. Je l’ai su quand j’ai vu l’animal qui tourna devant moi. J’avais ralenti et m’abritais sous les arcades pour que le blizzard ne me pousse pas au hasard plus avant. A un cheveu, nos chemins se seraient croisés. Il ne m’avait pas vu, ni senti. Heureusement, le flot de l’air avait subitement changé de sens et soufflait de face. Il me précédait, dodelinait de l’arrière-train et rasait les murs de son flanc. La bête était énorme de carrure imposante. Les cheveux d’ange de son pelage dansaient sur son dos à cette heure de la nuit sous les réverbères ou les rayons de lune, mais le démon l’habitait bien, c’est mon cousin garou qui m’en avait causé. « Gare à toi s’il te voit ». J’ai gardé la distance et elle nous a séparés ce soir-là définitivement.

Le temps passait et le mistral soufflait encore très fort. Il retournait les ombrelles et parapluies suivant les saisons, emportait les chapeaux de ceux dont les mains n’étaient pas assez rapides pour les retenir. A ne pas bouger et se laisser faire beaucoup étaient chauves maintenant et restaient baba en regardant leur bibi courir à terre pendant que d’autres riaient. Ces autres, nouveaux sans doute et encore lestes, se réfugiaient prestement sous les auvents ou les balcons et restaient coiffés ou à peu près bien peignés. Certains comme moi, un peu décoiffés, zigzaguions ou avancions à rebrousse poil. Il s’en ait fallu d’un cheveu que je reprenne le char à vent.

Cependant on ne peut pas toujours l’éviter, quand la bise fut venue, j’ai revu mon cousin. Toujours de bon poil, le garou, et droit dans ses bottes, il est quelquefois tatillon à vouloir trop de précisions et prêt à couper les cheveux en quatre sur la tête des autres, car lui n’a plus que quelques poils sur le caillou mais il suffit de le caresser dans le bon sens du poil (enfin sur ce qu’il en reste). Vous allez trouver que mon histoire n’a ni queue ni tête, est un peu tirée par les cheveux, et vous aurez raison. C’est que je n’ai pas une vie toute tracée et une seule voie à prendre, moi, des tas de pattes d’oies s’ouvrent devant moi, mais je n’en vois pas souvent (des oies, pardi ! ben oui, parties). Je vis au fil de l’eau et au gré du vent, et ce gré m’a porté ici aujourd’hui.

J’ai sauté dans le char, me suis accroché dans les virages jusqu’à ce qu’un soubresaut me jette chez mon cousin garou près du phare à mentir et nous avons causé. J’ai pu constater qu’il a un sacré poil dans la main, l’énergumène. Vous me direz que c’est normal vu l’animal et son âge, mais c’est presque une queue de vache comme aurait dit ma grand-mère. Seulement la mère-grand aujourd’hui est morte, mangée par le loup, le chasseur n’a pu récupérer que le red hat, car les humains avaient séjourné trop longtemps dans le ventre du monstre et avaient disparus dissous par les sucs gastriques. Le loup lui s’en est remis, en santé et plein la panse. Par contre ça, on ne le dit pas aux enfants, on a laissé le Père O grimer le conte. Au fait ce n’est pas de ça qu’on a causé avec mon cousin garou. Juste de l’air du temps et du vent sur terre qui fait s’envoler les objets et les mets et qui lui apporte parfois son repas tout prêt tout près, souvent juste devant lui et il vit ravi de ce que le vent ravit pour lui. Ce jour-là on a fait les fous, je lui ai un peu forcé la patte pour qu’il se bouge un peu plus et on a sauté à droite et à gauche de plus en plus vite pour tout attraper en vol et être servis. Tout ça tombait pile poil, car ce matin-là, quand je suis arrivé sous la pluie battante, je n’avais plus un poil de sec, ça nous a séchés et nourris en même temps.

Le zeph souffle encore et toujours, alors je suis resté et on s’est refait du poil neuf et du feu dans le poêle. On a continué à faire les sots et des sauts à droite à gauche et tant que ça dure, on n’est pas près à se faire des cheveux blancs. Quand même, le meilleur moyen d’éviter la chute des cheveux, c’est de faire un pas de côté.

« Ferme tes yeux pour rêver et fais vriller » m’a dit février. Absolument, j’ai fait vriller pour à l’agenda onirique chez Ecri’turbulente avec quelques contraintes dues à Eugène et Groucho.