C’est pour moi un moment précieux.
Le meilleur de la journée peut-être, quand toutes ses promesses sont encore possibles, éclairées par le soleil levant, si timide soit-il. Ce matin encore, je marche vite, l’air est frais et je devine que mes joues rosissent. Je n’ai pas eu à attendre longtemps. Après un salut au chauffeur toujours souriant et une fois assise dans le bus à ma place préférée, j’ai pu ouvrir mon livre. Je souris quand je lis ceci :
Luce a des yeux comme des planètes couvertes d’océans. Ils brillent d’une atmosphère pleine de vie, promesse d’un monde sans fin qu’on souhaiterait explorer à l’infini, tout en sachant qu’on n’en fera jamais le tour. C’est ce qui m’a séduit chez elle.
Ses yeux de planètes et ses seins de peinture, capturant le regard comme la lumière pour défier les lois de la gravité. Une rondeur parfaite, pleins et lourds dans leur masse et si joliment arrimés à son corps en une lente chute dont on ne sait si elle démarre à sa gorge ou quelque part dans le ciel tant ils flottent délicieusement. Sa peau est digne de l’art flamand dans la manière qu’elle a de boire les reflets du soleil, d’adoucir les ombres, tout en nuances de chairs.
Nous nous sommes rencontrés dans un musée. Je pense que c’est la manière qu’a l’existence de se divertir : l’ironie. Luce se tenait entre deux sculptures de femmes en albâtre, immaculées. Contemplative, c’était pourtant elle la plus pure. Je l’ai presque prise pour une œuvre à part entière.
– Leurs failles sont trop visibles, ai-je dit un peu bêtement en désignant les fissures.
– Les nôtres sont trop mouvantes pour l’être autant, répondit-elle.
C’est parti ainsi, sur une histoire de faiblesses.
Je n’oublierai jamais la promenade qui a suivi, dans les rues de Paris, son manteau de pollution nous couvrant les épaules, sa rumeur infatigable nous poussant à nous réfugier au creux d’un parc où les enfants riaient autour des fontaines grises.
L’essentiel du bonheur de ma vie est né de cette conversation, à cet endroit, en ce jour. Tout aurait pu basculer dans une autre direction si nous ne nous étions pas entendus sur ce qu’est une bonne pizza, sur l’intemporalité de l’œuvre de Shakespeare, une vision commune du déclin de la politesse en ville, et probablement surtout sur la manière qu’elle et moi avions de regarder les gamins sauter dans l’eau en s’éclaboussant. Quelques variations, et qui sait ce que je serais devenu ? Plusieurs milliers d’heures de bobines jetées au feu et remplacées par un autre film, inconnu, imprévisible, mais dont le casting n’aurait pu être aussi parfait à mes sens.
Luce m’a offert le plus bel avenir dont je pouvais rêver. Elle m’a accepté tel que j’étais, sans passé. Littéralement…
Ces derniers mots de Maxime Chattam dans « Le point d’émergence » m’intriguent, mais il est temps que je descende. Je ferme ce recueil d’histoires courtes, avec beaucoup de précaution je l’enfouis dans mon sac pour lire la suite au prochain voyage. Ces lectures, ces petits matins, ces voyages pour moi sont des moments précieux…