Depuis ce 8 mai ils attendaient tous leur libération

Depuis ce 8 mai ils attendaient tous leur libération.

Depuis ce 8 mai ils attendaient tous leur libération

L’information leur était arrivée par la hargne renforcée des gardiens devenus encore plus méchants. Les journées de travail étaient plus longues et les réveils plus tôt. Les ordres étaient plus forts dans leurs oreilles trop sensibles et pour certains, des coups reçus plus durs sur les corps fatigués. Il ne fallait pas réagir à tout ça, il fallait espérer en silence.

Je n’ai jamais sollicité notre père pour qu’il nous raconte ces instants, j’étais trop jeune et il est parti trop tôt. Mais des bribes de paroles ont formé quelques images restées collées dans mon esprit. Je me souviens par contre du ton sérieux de sa voix et ce petit tremblement ému dans le fond de sa gorge. Je n’ai jamais perçu cet évènement dans son intégralité ni sa durée, mais il fallait être bien téméraire en ce temps là.

Ils continuaient jour après jour à vivre dans ces baraquements non loin de Munich et se levaient chaque matin pour aller travailler. Ils attendaient dans leurs cœurs et leurs visages devaient rester impassibles au dehors. Ils n’avaient d’ailleurs aucune idée de la façon ni quand ça allait se passer. Il en parlait avec modestie et soulagement.

Et ça s’est passé en juin, par une fin de chaude journée. Ils étaient déjà rentrés et à peine assoupis quand les avions sont arrivés de l’est. Le ronronnement au loin les avaient faits sursauter. Ils sont sortis et ont très vite imaginé le cauchemar que ça allait être dans peu de temps. Lui avait pris sa valise avant de suivre les autres, et s’était toujours demandé pourquoi il avait eu ce réflexe. Il fallait sortir du camp et ils ont couru. Les engins volaient bas, les bombes éclataient et les rafales les frôlaient. Lui fut projeté à plat ventre et s’est protégé la tête de son bagage un court instant avant de se relever et repartir. Il en parlait avec une pointe d’humour il me semble, comme de tout ce qui s’était bien passé là-bas. C’était la débâcle, qu’il disait. Ils ont traversé les terrains vagues qui entouraient le lieu, puis des champs. Ils couraient encore et sont arrivés vers une forêt. Ils étaient vulnérables et pour éviter de se faire repérer, ils se sont enfoncés dans les bois et ont dit adieu aux lisières des rivières et des arbres. Ils ont trouvé de l’eau et se sont arrêtés pour boire. Bouleversés ils se sont comptés. Il étaient seulement trois du même baraquement que lui. Pris de vertige ils se sont terrés là pour y passer la nuit. Ils n’ont pas dormi, et pas parler non plus. Ils n’étaient pas très inspirés, plutôt vidés. Entendre la respiration des uns et des autres leur suffisait.

Cette nuit-là il était un homme libre, et le lendemain, à ce qu’il disait, il n’avait jamais vu soleil plus brillant et ciel plus bleu. Ils ont marché, ce lendemain et les suivants à travers bois en direction de l’ouest ou du sud. Plus tard ils ont décidé qu’ils ne marcheraient que la nuit et resteraient cachés dans les sous-bois pendant la journée, protégés de celle qu’ils avaient nommée la femme en vert. Certains savaient s’orienter avec les étoiles, ils en avaient parler entre eux, et lui avait repéré une étoile d’argent qui lui porterait chance. Elle lui avait porté chance et il nous l’a montrée. Je la regarde encore les nuits d’été. Ils en avaient arpenté des champs, longé et traversé des rivières, en attendant le prochain pont, le vrai.

C’est ma participation aux Plumes 52 chez Asphodèle avec les mots inspirés du mots Peur: bleu, cauchemar, vertige, avion, tremblement, sursauter, vulnérable, coller, ventre, eau, téméraire, inspirer, méchante, bouleverser, et les trois titres de livre à insérer dans le texte: L’adieu aux lisières (de Guy Goffette) (poésie), L’étoile d’argent (Jeannette Walls) (roman) et La femme en vert (d’Arnaldur Indridaso,) (policier).

C’est aussi ma participation à l’Agenda ironique (mais pas comique du tout et je m’en excuse, j’espère que la douceur de ces chaussons adoucira l’ambiance un peu grise) pour ce mois de mai chez Camille et Émilie, en attendant le prochain pont.

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42 réflexions sur “Depuis ce 8 mai ils attendaient tous leur libération

  1. Il n’aimait pas en parler, c’est vrai, et racontait cela avec un certain détachement ironique. Ton texte est à point nommé chère catch, et nécessaire.

    • Il était modeste, ne se prenait pas pour un héros, c’est le ressenti que j’ai eu de ce peu de paroles retenues. Merci Monesille de ce petit coup d’œil ici. Et je ris bien sûr, parce que je n’ai rien d’une catcheuse! 😉

  2. Pingback: AGENDA IRONIQUE DU MOIS DE MAI : LE VOTE | Les Petits Cahiers d'Emilie

  3. Beaucoup de douceur dans l’évocation de ce temps de guerre. De très belles phrases jalonnent le récit, je me suis laissé prendre par le fil des souvenirs évoqués, comme si moi-même avais été parmi eux. Belle intensité narrative…

  4. Pingback: L’agenda ironique de mai : par ici les textes ! – Camille Lysiere

  5. Joli texte plein d’émotion et de tendresse. Et puis, participer à l’agenda ironique, c’est aussi répondre à un challenge et c’est bien ! Etre lue, c’est encore mieux et c’est le but du jeu, créer ces liens-là, ironiques ou pas.

    • Merci Anne. J’aime pourtant ce côté loufoque de cet agenda, je ferai mieux la prochaine fois. Mais j’étais heureuse de ses souvenirs qui sont remontés dans mon coeur.

  6. C’est un art que de faire revivre les scènes du passé sans pour autant les avoir vécues, et tu l’as eu en écrivant ce texte, c’est vraiment très fort, l’émotion passe, et ce qui s’est passé dans la tête des survivants est tout à fait lisible, d’où le partage des sensations. Vraiment très fort.

    • Ce ne sont que des bribes de souvenirs enfouis, sans doute une fausse réalité. Je suis toujours surprise de cet effet que peuvent provoquer sur notre mémoire l’association de quelques mots. Merci Jo (pas si bougon que ça)

      • C’est là qu’on entre dans le domaine des mémoires familiales et je suis convaincu, qu’en des plans subtils, nos ancêtres nous « dotent » de bagages plus ou moins agréables mais qui participent à la construction de l’être toujours en mouvement que chacun de nous est !

      • Bien sûr! Quand de tels souvenirs reviennent pour un article, tout notre être est construit autour de bribes de plein d’autres choses.

    • C’est ma couleur préférée. J’aime porter cette couleur. Vraiment. Mon jardin aussi, ces temps-ci. Je plaisante et je souris. Belle journée à toi. Tu sais que j’ai l’impression de recevoir un cadeau à chaque fois que je peux lire un nouveau texte. Alors Merci à toi aussi

  7. j’ai lu avec attention et passion ce texte. Comme il était difficile de vivre sous l’oppression et comme la liberté pouvait avoir un goût que personne d’entre nous ne pourra comprendre à moins de l’avoir vécue. Sont-ce ces sentiments que vivent tous les opprimés de notre pauvre monde, aujourd’hui ? La liberté tant espérée a un goût amer pour beaucoup d’entre eux ! Comme nous avons de la chance de ne pas être soumis à de telles épreuves !
    Bravo pour ce beau texte.

  8. « Ils attendaient dans leurs cœurs et leurs visages devaient rester impassibles au dehors…… »
    Comme cette période de l’histoire a dû être longue et difficile …la suite aussi d’ailleurs mais sans l’attente qui ronge…;
    Bonne journée Patchcah 😉

    • Il est revenu en fait par le train depuis Augsbourg via Stuttgart.
      J’aime bien aussi « Un pont trop loin »
      Bon dimanche ma Belle et merci encore pour ces jolies lectures 😉

  9. Magnifique texte très fort et haletant comme la fuite éperdue des hommes sait en inspirer.
    Chapeau !
    ¸¸.•*¨*• ☆

  10. Bel hommage, Patchcath, pas très drôle en effet, mais c’est l’agenda qui se montre ironique en nous imposant des dates improbables dans un calendrier facétieux (genre jours fériés tombant tous un dimanche, par exemple !), les textes n’ont pas le devoir de l’être, eux, ironique ou même drôle.
    Bravo pour ton texte en tout cas.

    • J’aime pourtant tous ces textes sans dessus dessous pleins d’humour pour l’ironie de cet agenda, je ferai mieux une prochaine fois. Merci pour ce thème original. Bon dimanche 😉

      • On est toujours admiratif de ce que peuvent produire les autres, et je suis comme toi, j’adore quand c’est drôle (avec un goût prononcé pour le caustique, le grinçant, que je suis incapable d’écrire moi-même…). Mais je maintiens, ton texte est vraiment très, très beau.

  11. Pingback: LES PLUMES 52 – LES TEXTES DE LA « PEUR  ! | «Les lectures d'Asphodèle, les humeurs et l'écriture

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