Avez-vous entendu parler de la légende de Barberousse en écoutant la troisième symphonie de Mahler?
Élu roi des Lombards depuis 1152, Frédéric Ier de Hohenstaufen, dit Barberousse, est couronné roi d’Italie et empereur germanique en 1155. Il pouvait prétendre à la succession de Charlemagne. Il voulait d’ailleurs faire renaître, en Occident, la paix et la justice que la légende attribuait à l’empereur Charles.
Le premier mouvement de cette symphonie est monumental. Un des plus longs écrits de la main du compositeur nous emporte immédiatement dans un univers tellurique en rupture complète avec le quotidien de la vie.
Ce fut un conquérant avant tout et c’est contre la papauté que se déroulera son plus long combat. Ce n’est pas prétentieux que de dire qu’il était à la fois puissance et élégance. D’une prestance inégalable et jamais avare de ses forces, il incarnait l’idéal chevaleresque. Ses proportions étaient dignes d’une cathédrale, aussi massives que celle de la ville, dont les forts piliers, l’impressionnante hauteur de voûtes et ses grosses gargouilles justifiaient son importance.
Une partition aérée et très structurée, au thème descriptif et philosophique à la fois, qui laisse place à une grande possibilité d’interprétation pour celui qui écoute.
Les cités lombardes, vassales de l’Empire, étaient en constante révolte et le pape Alexandre III les soutenaient face au très redoutable Barberousse. Le conflit qui opposait les hommes de l’Empereur et ceux de la dynastie précédente allait s’étendre de l’Empire à l’Italie et durerait dix-sept ans. Bien que vaincu en Italie, Barberousse continuera ses nombreux combats, créant ainsi sa réputation de souverain qui n’accepte ni le déshonneur ni la défaite.
Dans ce mouvement intitulé « L’été fait son entrée », il est question de ce que racontent les rochers de la montagne. Huit cors introduisent le mouvement, appuyé ensuite par des percussions en une série de sons vertigineux, pour s’atténuer dans les sonorités plus profondes des cors et du tuba. Avec la volonté de créer un univers minéral et grave, la matière sonore se construit petit à petit, avec les notes granitiques des cuivres, stridentes de la trompette, aériennes des bois, cinglantes des percussions, comme la pluie intense de la mousson frapperaient des toits de tôles sans gouttière.
Le 2 octobre 1187, Saladin s’empara de Jérusalem et Frédéric y vit une chance de démontrer qu’il était le vrai défenseur de la Chrétienté et fut le premier à répondre à l’appel du pape.
C’est un univers de sauvagerie primaire ou un climat des premiers jours qu’évoque cette introduction spectaculaire. Le trombone introduit le thème principal puis s’envole comme poussé par les alizés pour s’estomper progressivement dans un silence pesant.
Il leva alors une armée de cent mille hommes et, accompagné de Richard Cœur de Lion et de Philippe Auguste, prit la route de la Terre Sainte. Pour encourager les soldats fatigués, il leur avait promis le paradis.
Une seconde période très douce apparaît alors avec les sonorités rieuses du violon évoquant la vie, et le calme d’un jour de printemps. Mais la journée est courte et cette mélodie retourne très vite au silence et de nouveau les sons construisent le monde rocheux, accompagné d’un profond solo de trombone, sans nervosité et solennel. Le thème principal prend en puissance et éclate dans une hauteur vertigineuse. Le silence retombe.
C’est Barberousse qui, fasciné depuis toujours par la civilisation islamique, entreprendra toutes les négociations avec Saladin, mais il ne parvint pas à reprendre Jérusalem. La durée des combats fut courte, et la barbarie atteignit des degrés inégalés dans le raffinement et la cruauté.
La luminosité du mouvement s’installe avec un jeu musical de défilés et des airs de fanfares. L’été a fait son entrée, avant de retomber avec fracas dans la sonorité dure et solide de la Terre.
La croisade fut écourtée pour l’Empereur, âgé de soixante-huit ans. La traversée du plateau d’Asie Mineure était terrible et la chaleur affaiblissait les hommes. Passant près de la rivière où Alexandre le Grand avait failli se noyer, Barberousse ne résista pas à la tentation de prendre un bain rafraîchissant après une marche éprouvante dans cette moiteur et se noya, le 10 juin 1190.
S’ensuivent des mouvements troublés de constructions bruyantes, de luttes de la vie marquées par une diversité de résonances qui réintroduisent le thème initial. Néanmoins sa force a décru, son essoufflement est latent et il s’éloigne presque avec nostalgie.
L’Empereur mourut. Richard continua la lutte en Terre Sainte et Philippe II manœuvra afin d’accroître le domaine royal. La légende de Barberousse naquit. Aujourd’hui encore on dit même qu’il n’est pas mort mais qu’il dort, quelque part sous une montagne ou dans une cave de Kyffäuserberg, en Thuringe appuyé à une table de pierre. Sa longue barbe blanche aurait poussé jusqu’à terre et si un jour, un grand malheur menace le pays, le Grand Roi se réveillera et sauvera l’Occident en péril…
Une période instrumentale se termine et commence une partie vocale.
Le point d’orgue dans tout ça c’est que ce mouvement repart sur des harmonies profondes, sans évoquer cette fois-ci de matérialité physique, mais plutôt un climat de rêve. Un hymne à l’amour divin qui pourrait égaler la sécurité et la durabilité de la laine, mêlées à son confort et sa douceur. Vers la fin, après une courte pause, le thème est repris plus calmement et suit alors un lent crescendo vers l’accord final.
Rappelez-vous, la troisième symphonie de Mahler. Je sais qu’un jour viendra où vous l’écouterez.
C’est ma participation de A à Z sur les mots proposés pour des mots, une histoire 127 chez Olivia.